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Football et supporterisme. Analyse de l'actualité et du droit.
12 octobre 2013

«Ils ont effacé l’histoire du Parc des Princes»

REPORTAGE

A l'occasion du match France-Australie au Parc, un groupe de 200 supporteurs du PSG est venu demander «la liberté pour les ultras». D'autres ont été refoulés, sans raison apparente.

 

Comment vit un stade de foot ? Au rythme de «Allez les Bleus» ne dépassant jamais les 20 secondes et d’une ola syndicale, dont le seul mérite est de faire se lever les spectateurs une fois dans le match ? Ou bien vit-il grâce à ses supporteurs – ultras ou non – capables de rester debout 90 minutes et de chanter sans discontinuer ? C’est à ce match dans le match que l’on a assisté vendredi soir, au Parc des Princes. La France y accueillait l’Australie pour une rencontre amicale conclue sur le score d'un set à zéro pour les tricolores.

Profitant de la venue des hommes de Didier Deschamps au Parc, environ 200 ultras du Paris Saint-Germain ont saisi l’occasion pour retourner dans leur stade fétiche, que certains n’avaient pas fréquenté depuis plus de trois ans. Une période d’abstinence qui remonte à la mise en place du plan Leproux, visant à pacifier les tribunes. Depuis, la rupture entre le club et les ultras est consommée. La disparition des associations et le placement aléatoire dans l’enceinte se sont accompagnés d’une politique drastique de la direction du club et des pouvoirs publics en direction de ces supporteurs «indésirables».

Les interdits de stade («IDS») ne sont pas les seules cibles. Toute une frange d’ultras – à qui la justice n’a pourtant rien à reprocher – se voient désormais interdire les portes des enceintes, à domicile et à l’extérieur, comme récemment à Valenciennes. Une «liste noire» de 2 007 supporteurs aurait même été élaborée, en toute illégalité, par la direction du PSG, ce qui lui a d’ailleurs valu une mise en demeure de la CNIL.

«VOUS DÉFENDEZ DES GENS QUI SONT DANGEREUX»

C’est pour dénoncer cette situation que plusieurs groupes d’ultras avaient décidé de mener une action vendredi soir. Les consignes étaient claires : discrétion maximale et attitude irréprochable. Environ 200 personnes sont mises au courant. Parmi elles, aucun «IDS». Par petits groupes ou individuellement, munis de leurs billets, les supporteurs doivent gagner les tribunes et se rassembler en un point précis. Ceux qui seront refoulés à l’entrée du Parc pourront faire constater la situation par un huissier. A une demi-heure du coup d’envoi, un groupe de supporteurs rejoint Valérie Canto, huissier recrutée pour l’occasion. Pourtant munis d’un billet acheté«au Leclerc de Blois», ils ont été interdits d’entrée. «Les vigiles nous ont dit qu’on savait pourquoi», explique Timothée (1).

Nouvelle tentative, cette fois en compagnie de Valérie Canto. Nouvel échec. «Ces messieurs ne rentrent pas, pour un motif de sécurité», lance un responsable. Pierre Barthélémy, avocat de plusieurs ultras, tente de parlementer. «Vous défendez des gens qui sont dangereux», lui lance-t-on. L’avocat est décontenancé. Pour lui, aucune raison valable n’a été avancée. «Ils ne font pas de contrôle d’identité, ne vérifient même pas si la personne est interdite de stade ou non. Tout se fait à la tête du client.»

De fait, des «physionomistes» du Paris Saint-Germain sont à l’œuvre, bien que le match soit organisé par la Fédération française de football. Les visages de ces ultras, qui partent souvent soutenir leur équipe à l’extérieur, ils les connaissent. Ils semblent avoir une idée bien précise de qui a le droit d’entrer dans le stade, ou non.«Cela veut dire que le PSG dicte ses ordres à la FFF», juge Pierre Barthélémy.

A quelques minutes du début de la rencontre, Michaël, un des organisateurs, doit se rendre à l’évidence : 13 personnes ne pourront pas pénétrer dans le Parc des Princes. Pourtant munies de billet, sans qu’aucun fait précis ne leur soit reproché, elles finiront la soirée par une prise d’identité réalisée par les policiers. «C’était bien la peine que je m’achète une écharpe de l’équipe de France à cinq balles», sourit un jeune homme, qui espérait ainsi passer incognito.

«CES GENS SONT VICTIMES DE MESURES ILLÉGALES»

Mais si certains ont été refoulés, la majorité, elle, a pu déjouer la surveillance de ses gardes-chiourmes. Rassemblés dans l’ancienne tribune «G Rouge», près du virage Auteuil, les ultras patientent, calmement. Aux alentours de la 20e minute, ils se lèvent d’un coup. Premier slogan, qui claque dans le stade : «Et il est mort, et il est mort le Parc des Princes !» Le cordon de stewards se resserre, mais les chants persistent. «Paris, Paris, c’est nous !», «Liberté pour les ultras !» Une partie de l’enceinte répond en chœur à certains chants. Le reste du stade, lui, ne vibre qu’à moitié, malgré la ribambelle de buts des Bleus.

A la mi-temps, Pierre Bathélémy fait le point par téléphone avec ceux restés à l’extérieur. Ancien de la tribune Auteuil, l'avocat regrette que «malgré des mesures attentatoires aux libertés, rien ne bouge depuis trois ans». Il espère bien demander des justifications sur les refus d’accès au stade, obtenir le remboursement des billets, et, pourquoi pas, «aller en justice»«Le but, c’est de médiatiser notre cause et de montrer que ces gens sont victimes de mesures illégales. Ultras ne veut pas dire casseurs. La plupart de ces gars sont là pour chanter et soutenir leur équipe.»

Au retour des vestiaires, Karim Benzema entre en jeu. Bronca d’une partie du stade, qui saluera pourtant le Madrilène quelques minutes plus tard, quand il marquera d’un plat du pied le sixième but des Bleus. Les ultras, eux, continuent de chanter. L’ambiance baisse cependant d’un cran, et, à quinze minutes du coup de sifflet final, ils décident de quitter le stade. Encadrés par la sécurité, ils s’extirpent des tribunes, un à un. «On est parti avant pour éviter de subir une prise d’identité», raconte Alexandre. Le jeune homme, ancien des «Supras», n’était plus revenu au Parc depuis mai 2010. «Le stade a changé. On dirait qu’il est nouveau.» Un de ses potes ajoute : «Ce n’est plus pareil, ils ont effacé les fresques, ils ont effacé l’histoire.»

(1) Tous les prénoms de cet article ont été modifiés.

Sylvain MOUILLARD

Source:liberation.fr

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