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Football et supporterisme. Analyse de l'actualité et du droit.
29 novembre 2013

Violences lors de Nice - Saint-Étienne : la stratégie du tout-répressif montre ses limites

Par Franck Berteau
Auteur du Dictionnaire des supporters

LE PLUS. En réponse aux incidents observés en marge du match entre Nice et Saint-Étienne, le 24 novembre dernier, la Ligue de football professionnel a décidé d'interdire les tribunes aux supporters du club stéphanois à l'extérieur jusqu'à la fin de l'année. Comment lutter efficacement contre ces violences ? Éclairage de Franck Berteau, journaliste et auteur du "Dictionnaire des supporters"(éd. Stock).

Édité et parrainé par Sébastien Billard

FOOTBALL. Disons-le d’entrée : la violence n’a pas sa place dans une enceinte sportive. Les individus à l’origine des incidents du match Nice-Saint-Etienne doivent être sanctionnés.

Est-ce pour autant nécessaire de diaboliser l’ensemble des supporters qui, week-end après week-end, à domicile comme à l’extérieur, ont pour unique objectif d’encourager leur équipe ? Ne devrait-on pas cesser d’affirmer, à chaque nouvel épisode du feuilleton, que tous les "ultras" sont des délinquants, voire des "débiles mentaux" ?

L’idée n’est pas de justifier ici les agissements – condamnables – d’une minorité mais de rappeler que cette violence cache une réalité plus complexe qu’il n’y paraît.  

 

Un arsenal répressif déjà conséquent

À chaque fois, pourtant, le même mécanisme médiatique se met en marche, et les images – chaoquantes dans le cas niçois – poussent les autorités du football et les pouvoirs publics à rouler des mécaniques.

Voici Frédéric Thiriez, le président de la Ligue de football professionnel (LFP), qui monte au front : "Une seule solution, la répression !" Et le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, qui lui emboîte le pas en annonçant des "mesures exemplaires",comme le fit si souvent, en son temps, Nicolas Sarkozy.

Un mot revient dans ce brouhaha : répression. Chacun l’avance comme une promesse de nouveauté, oubliant que des mesures dites "exemplaires", et même d’exception, ont déjà cours depuis très longtemps.

Ainsi, depuis 1993, l’arsenal législatif permet d’interdire de stade les fauteurs de trouble. Avec la loi contre le terrorisme, votée le 23 janvier 2006, il est même possible de le faire "administrativement", c’est-à-dire sans qu’un tribunal ne soit saisi. En septembre 2007, un fichier national des interdits de stade (FNIS) est même créé.

Ajoutons à cela l’apparition, en 2009, d’une Division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH) au sein de la police nationale, et le recours régulier à des interdictions de déplacements et à des arrêtés préfectoraux interdisant à quiconque se revendiquant supporter de telle ou telle équipe l’accès à un territoire donné le jour des rencontres.

Bref, en matière répressive, il y a déjà largement de quoi faire, quitte à bafouer les libertés, individuelles et collectives.

 

Le fossé se creuse entre supporters et dirigeants

Dès lors, pourquoi y a-t-il toujours des dérapages ? Simplement parce que le problème est ailleurs : dans le fossé creusé entre le monde des supporters, et celui des dirigeants.

Le "répressif" n’est pas viable, et voué à l’échec, s’il ne s’accompagne pas d’une forme de dialogue. Rien ne sert de réprimer les dérives si l’on ne tente pas, par ailleurs, de comprendre les "bonnes" pratiques, d’aller au-devant des gens raisonnables, nettement majoritaires, et de mieux cerner leur univers.

En décidant de dissoudre, ou de pousser à l’auto-dissolution, des associations qui réunissent parfois des milliers de personnes, les autorités s’exposent à la radicalisation d’une minorité. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit à Saint-Étienne, où les "Green Angels", l’un des principaux groupes de supporters des Verts, s'est auto-dissoute en octobre, s’estimant "étouffé" par la pression des autorités puis du club, qui l’empêchaient de plus en plus d’exprimer le soutien à son équipe.

Les ultras se définissent comme des supporters encourageant sans cesse leur équipe par des chants mais aussi des animations visuelles. Ils ont leurs usages, leurs codes, leurs "valeurs".

Certains éléments ont à leurs yeux une importance cruciale : le mégaphone, pour orchestrer les chants ; les drapeaux et étendards, pour colorer la tribune ; les tambours, pour lui donner du rythme… Or ce matériel, indispensable à l’ambiance, est de plus en plus interdit dans les stades, pour des raisons de sécurité.

Ces interdictions, perçues comme autant d’injustices, sont sources de tensions avec les dirigeants et les forces de l’ordre. Au point qu’elles ne font qu’accroître l’incompréhension entre les deux "camps".  

 

Le mépris des autorités compromet leur action

Autre élément essentiel : ces supporters jouent d’une certaine manière un rôle "syndical". Il leur arrive de contester le prix des places et des abonnements, les coloris d’un maillot en inadéquation avec l’histoire du club, de mauvais résultats sportifs… Ce côté "militant" dérange, mais il se nourrit bien souvent de bon sens, et de revendications justifiées.

En août dernier, alors que plusieurs groupes de supporters affichaient – sans violence – leur désaccord avec la programmation des matches de Ligue 2 le vendredi soir, Frédéric Thiriez avait envoyé une lettre recommandée aux présidents de clubs pour leur demander d'empêcher ces individus de "nuire".

Quel problème de sécurité cela pose-t-il de voir des supporters brandir – sans violence, encore une fois – une banderole où il est écrit : "Le foot, c’est mieux le samedi" ? C’est en commettant ce genre de faute que les dirigeants s’éloignent du public, et perdent une partie de leur crédibilité quand il s’agit d’aborder les "vraies" questions de sécurité, ou les vrais incidents, comme ceux de Nice.

Les pouvoirs publics et les autorités du football n’en ont sûrement pas conscience mais cette ignorance, ce mépris même, vis-à-vis d’une partie des spectateurs, compromet leur propre action.

Ils ont tort de croire que les supporters, ceux qui chantent, gesticulent et réalisent des chorégraphies saluées par les commentateurs sportifs, ne sont pas des acteurs à part entière du match de football. Ce manque de considération tue dans l’œuf toute perspective de rapprochement. Et pourtant, le dialogue serait sans doute le meilleur compagnon de la répression.

 

Un exemple à suivre : l'Allemagne

Les ultras, regroupés le plus souvent en association, regorgent d’interlocuteurs crédibles. Les considérer davantage, notamment dans leurs clubs respectifs, permettrait de les responsabiliser. Encore faudrait-il qu’eux-mêmes jouent le jeu et acceptent des concessions indispensables sur leur mode de fonctionnement, par exemple en condamnant plus clairement les violences, le racisme et tous les comportements inappropriés.

Il n’y a pas à chercher bien loin pour trouver l’exemple à suivre : l’Allemagne. Dans ce pays, où le football fait l'objet d'une véritable approche sociale, tous les acteurs, y compris les fans, cherchent des solutions ensemble, prouvant que ferveur et sécurité ne sont pas incompatibles.

Les fauteurs de troubles – il y en a encore, mais ils sont beaucoup moins nombreux que dans les années 1990 – sont lourdement sanctionnés par la justice, mais sans que cela pénalise les autres fans, avec lesquels les dirigeants entretiennent un dialogue constant.

Pourquoi la France serait-elle incapable d’une telle stratégie ? Peut-être parce qu’au fond, elle n’aime pas vraiment ses supporters, qu’elle ne cherche pas à les comprendre, et qu’elle préfèrerait voir ses stades devenir de simples temples de la consommation ? Après tout, cela arrangerait tout le monde d’évincer ces derniers "militants" d’un football populaire, dont la parole fait parfois désordre.

Dans ces cas-là, disons le tout de suite, et laissons les stades devenir des salles de théâtre où l’on se contente d’apprécier passivement les prestations accomplies par les stars du ballon rond. À l’inverse, dialoguons, pour que les violences disparaissent et que la passion survive.

Source:leplus.nouvelobs.com

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