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Football et supporterisme. Analyse de l'actualité et du droit.
6 décembre 2012

Mais comment des fans turcs ont-ils pu se retrouver au milieu des ultras marseillais ?

La réception par l’OM de Fenerbahçe, l’un des trois grands clubs turcs, populaire bien au-delà d’Istanbul, dans une région qui compte une importante diaspora turque ou d’origine turque –comme l'avait souligné l'entraineur d'Eskisehirspor lors du troisième tour préliminaire d'Europa League face à Marseille – pouvait laisser présager une mobilisation importante des fans du « Fener ». Ou, pour le dire plus crûment, un beau bordel : « Il ne faut pas sortir de St Cyr, pour savoir qu'en France la communauté turque est importante et que des incidents risquent d'éclater, comme ce fut le cas par le passé lors de PSG-Galatasaray », tranche un ancien membre du Commando Ultra, groupe de supporters du virage sud. Et ce d’autant plus que l’Europa League ne passionne pas les Marseillais, comme en témoignent les piètres affluences – certes également dues aux travaux – peu communes au Vélodrome en Coupe d’Europe. Bref, tout était réuni pour assister à une invasion jaune et bleue dans des travées marseillaises en chantier.

« Tout supporter turc ayant un billet dans une autre tribune que Ganay se verra refuser l’accès au stade »

Le club phocéen s’attendait à une déferlante, échaudé par la rencontre face aux Allemands de Mönchengladbach, particulièrement migrateurs, qui avaient, pour beaucoup, trouvé refuge en tribune Jean Bouin, la tribune présidentielle, à la place du parcage visiteur. Aussi, à deux jours de la rencontre, l’OM avait prévenu : « Tout supporter turc ayant un billet dans une autre tribune que Ganay (la tribune réservée pour les supporters visiteurs, ndlr) se verra refuse l'accès au stade » Les incidents, dus au fait que des centaines de supporters turcs étaient en réalité disséminés dans toutes les tribunes du stade Vélodrome, n’en sont que plus saisissants…

Petit rappel des faits pour ceux qui ne les ont pas suivis en direct sur W9 : avant le match, les supporters turcs présents en tribune Ganay ont jeté des sièges en direction du virage sud et notamment de la Brava Massalia, groupe de supporters non-officiel du virage sud, agitant à chaque match un drapeau grec. Sans se lancer dans un cours de géopolitique approfondi, il convient de rappeler au lecteur distrait que les relations entre la Turquie et la Grèce peuvent s’avérer tendues. Du coup, la Brava a été contrainte par la sécurité du stade Vélodrome d’enlever son emblème grec. Lors du but de Fenerbahçe, une vingtaine de supporters turcs présents en virage nord ont manifesté leur joie. Ils ont rapidement été exfiltrés par les stadiers vers la tribune Jean-Bouin. Même opération lors de la mi-temps, mais cette fois-ci en virage sud et en faisant carrément sortir les supporters du Fener par les grilles au bord du terrain... Enfin, plusieurs échauffourées ont éclaté en tribune Jean-Bouin occupée par de très nombreux supporters turcs, nécessitant l’intervention des CRS qui se sont déployés devant toutes les tribunes.

« C’est la première année où le virage sud et le virage nord ne sont pas remplis d’abonnés »

À la fin du match, Guy Cazademont, directeur de la sécurité de l’Olympique de Marseille, se défendait devant les caméras : « Les supporters turcs sont entrés en civil, ils étaient comme monsieur tout le monde, c'est compliqué pour la billetterie de savoir qui est qui. Mais on a été réactif tout au long du match, avec les stadiers en appui de la SIR (le service d'intervention rapide, composé de policiers spécialisés dans la lutte contre le hooliganisme, ndlr). Puis avec la réquisition des CRS, on a pris la bonne décision au bon moment. » Une explication un peu courte pour les supporters marseillais. Dans la foulée du match, Brava Massalia se fend d'un communiqué cinglant envers l’OM dénonçant le rôle de « bouc émissaire que le club a tenté de leur faire jouer » (le directeur de la sécurité de l’OM ayant parlé « d’incident diplomatique », quant au drapeau grec sorti par la Brava) ainsi que « le reniement des racines grecques de la ville ». Les South Winners, autre groupe de supporters du virage sud, sortent à leur tour un communniqué aussi circonstancié que véhément dans lequel ils pointent nommément les responsables des ratés : la billetterie et la sécurité de l’OM.

Pour comprendre comment des supporters turcs ont pu atterrir dans les virages – autrefois saturés d’abonnés – du stade Vélodrome, il faut savoir que, « c’est la première année où le virage sud et le virage nord ne sont pas remplis d’abonnés. Il reste des places. Comme nous, aux Ultras Marseille, on estime que ce n’est pas notre rôle de faire de la billetterie et de l’argent avec les places restantes, on a rendu ces places au club », explique Christine l’une des responsables du Commando Ultra. Les places restantes en virage ont été revendues à l’unité sur le site Internet du club comme dans n’importe quel autre secteur du stade. Et c’est là que le bât blesse pour les supporters.

« Les vendeurs au marché noir n’auraient rien vendu si les guichets avaient été ouverts »

Pour se prémunir d’une éventuelle invasion, les dirigeants olympiens avaient fait le choix de fermer la billetterie le soir du match, ce qui a, par corollaire, alimenté, davantage que d’habitude, le marché noir aux abords du stade Vélodrome. « C’était une grossière erreur de vendre des places sur Internet dans toutes les tribunes la semaine avant la rencontre et de fermer la billetterie le soir du match, omettant la communauté turque de France, omettant également les vendeurs au marché noir. Ces derniers n'auraient certainement rien vendu si les guichets avaient été ouverts le soir du match. Au contraire, ils ont trouvé une clientèle turque inespérée, prête à acheter n’importe quelle place en tribune ou en virage », analyse avec du recul un ancien membre des Ultras Marseille. Contacté par So Foot, l’Olympique de Marseille n’a pas souhaité réagir sur ses choix de billetterie. Pourtant, au lendemain du match, la directrice des opérations marketing, Corinne Gensollen, prenait part à une conférence de presse concernant les travaux du stade. Invitée à s’exprimer sur le sujet, elle jure que l’OM a pris la bonne décision. Selon elle, avec une ouverture de guichet le jour du match « les charbonneurs » (ceux qui achètent des places pour les revendre au marché noir, ndlf) comme elle les appelle, auraient mis une grosse pression pour s’accaparer les places avant de les revendre au plus offrant. Toujours plus loin dans le cliché, elle ajoute qu’il est difficile de se sentir en sécurité aux abords du stade Vélodrome, avant d’expliquer que les places étaient en vente dans les hypermarchés, généralement situés dans les quartiers nord et dans la périphérie de Marseille, là où se situe une grosse partie des sympathisants turcs. Il fallait y penser.

La situation en tribune était pourtant inédite. Christian, président des Dodger’s, est présent au virage nord depuis la fin des années 80. Il se rappelle qu’en 1990, lors d’une demi-finale mémorable de l’ancienne Coupe des clubs champions européens entre l’OM et le Benfica Lisbonne, « il y avait quelques supporters portugais dans le virage, mais un contingent comme celui des supporters turcs en virage nord, ça n’était jamais arrivé avant ». Lui aussi avance que la vente de billets sur Internet pour un tel match était risquée.

Entre-temps, la pression est retombée avec la Brava Massalia, puisque le groupe explique dans un nouveau communiqué que l’ordre d’enlever le drapeau grec est venu de la préfecture et non de l’Olympique de Marseille, et que l’enlèvement de l’ensemble des bâches du groupe est dû à un « malentendu de la part de la sécurité du stade ». Contactée, la préfecture des Bouches-du-Rhône n’a pas donné suite à notre demande d’interview. Face à l’ampleur des incidents, le Commando Ultra a néanmoins demandé des explications au club, notamment sur la question de la billetterie. Une réunion s’est tenue mardi 27 novembre, avant la réception de Lyon, en présence de l’ensemble des groupes de supporters. Selon Christine, le dialogue a été « constructif » : « À ce jour, on est assez satisfaits de la réponse qui nous a été donnée, le club a notamment assuré vouloir prendre des dispositions pour que ça ne se reproduise plus. Mais on reste vigilant. » Même si d’un point de vue plus global, elle ajoute : « L’OM devrait aussi réfléchir à pourquoi il y a moins de gens qui viennent au stade. Les travaux n’expliquent pas tout. »

Au final, une rengaine tourne en boucle parmi les interlocuteurs : c’est qu’il aurait peut-être fallu privilégier la billetterie le jour du match, permettant d’identifier plus facilement les supporters turcs, et de les rediriger le cas échéant vers le secteur visiteur de la tribune Ganay, plutôt que de vouloir vendre à tout prix des places par Internet pour ce match. Même si les difficultés financières de l’OM ne font de mystère pour personne. 

Par Anthony Cerveaux, avec RC et AA

Source:sofoot.com

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