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Football et supporterisme. Analyse de l'actualité et du droit.
28 avril 2015

« FICHIER STADE » : L'EXCEPTION PARISIENNE

Depuis le 15 avril 2015, un arrêté signé du ministre de l'Intérieur officialise ce qui était déjà illégalement en place : La police peut " ficher " les supporters de foot à l'occasion des matchs du PSG et de toute manifestation sportive dans les départements de Paris, Hauts-­de­-Seine, Seine-Saint-­Denis et Val-­de-Marne. Un arrêté jugé liberticide envers les supporters parisiens. Réactions.

L'arrêté dénommé "Fichier Stade" autorise la police à « mettre en œuvre un traitement automatisé des données à caractère personnel » et concerne les « personnes se prévalant de la qualité de supporter d'une équipe ou se comportant comme tel ». Aucun doute sur le public visé : les supporters du Paris-Saint-Germain, seul club cité en toutes lettres.

En pratique, donc, toute personne ayant un comportement de supporter du PSG lors d'un match à domicile ou à l'extérieur est susceptible d’être fichée par les autorités si son comportement présente « un risque » pour les autorités. Le préfet peut alors demander à la police de récolter des données sur cette personne, et même sur ses proches s'ils sont considérés comme « personnes entretenant ou ayant entretenu des relations directes et non fortuites avec l’intéressé ». Des données telles que : état civil, surnom, pseudonyme, nationalité, profession, signes physiques particuliers, activités publiques, blog, réseaux sociaux, immatriculation des véhicules, relations, ... la liste est longue. Ces données sont conservées cinq ans (trois ans pour les mineurs d'au moins 13 ans) « après l'intervention du dernier événement de nature à faire apparaître un risque d'atteinte à la sécurité publique ayant donné lieu à un enregistrement » (article 6). Jusque-là, un fichage assez classique, dirons-nous. Sauf que l'intéressé ne pourra pas faire valoir son « droit d'information et d'opposition » : autrement dit, il ne sera pas informé de la récolte de données à son encontre et n'aura pas non plus le droit de s'y opposer (article 9). Le droit d'accès aux données, lui, devra uniquement passer par la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés (CNIL).

 

Celui qui est « fiché » ne le saura pas

 

La CNIL avait pourtant ouvert une enquête sur une liste noire déjà constituée par le club parisien (2 000 noms y auraient été inscrits) contenant des informations sur des supporters jugés indésirables (en plus de ceux interdits de stade). Une liste illégale qui devient donc légale par ce nouvel arrêté. Gérée par la police, il est prévu qu'elle puisse être transmise aux « associations et sociétés sportives, ainsi que les fédérations sportives agréées ». Vous avez bien compris, des fichiers contenant des informations personnelles récoltées par la police française, pourront être transmis à des sociétés privées comme le club du Paris Saint­Germain. 

Le mystère demeure quant à la définition du « comportement supporter ». Parle-­t-­on de quelqu'un portant l'écharpe du PSG ? Quelqu'un qui applaudit après un but ? De Nicolas Sarkozy, Anne Hidalgo et des 4 000 VIP invités par le club ? Ou bien parle-­t-­on seulement de ces supporters acharnés et sanguinaires que sont les ultras (associés, à tort, aux hooligans) ? Il semble que la réponse soit oui et non. Oui, parce que ce sont bien les supporters les plus fervents qui seront visés par cet arrêté. Ceux qui s'opposent au foot business et qui entachent la " marque PSG " par des chants et des banderoles contestataires. Non, parce qu'une grande partie de ces supporters-­là ont depuis longtemps été virés des tribunes : les deux groupes ultra parisiens ayant été dissous en 2010 par les autorités.

Robin Leproux, président du PSG à l'époque, avait aussi instauré un plan de sécurité avec placement aléatoire dans les virages et quarts de virage du Parc des Princes. Insuffisant. Il fallait aussi s'attaquer à la billetterie. Les prix des abonnements ont augmenté de presque 100 % en quatre ans. Ils oscillent entre 430 et 2 700 euros pour la saison 2014­ - 2015 et augmenteront encore de 5 % la saison prochaine : une manière claire de « faire le tri ». Dans les tribunes, le PSG ne s'en cache plus : les groupes de supporters, qu'ils soient parisiens ou extérieurs, ne sont pas les bienvenus. Le Kop rouge, supporters de l'En Avant Guingamp, a ainsi fait savoir par un communiqué qu'il ne ferait pas de déplacement à Paris le 8 mai prochain : « Les dirigeants parisiens imposent des conditions d'accès drastiques aux supporters. (...) Au-delà du prix exorbitant de la place (40 euros), il nous est impossible d'organiser un soutien optimal à nos joueurs. En effet, aucun drapeau, aucun mégaphone et aucun tambour ne sont admis dans l'enceinte parisienne. »

 

« Le PSG veut sélectionner son public »

 

Et l'on se dit que Bernard Cazeneuve et Nasser Al-­Khelaïfi (président du club) ont décidément bien réussi leur coup. Selon Nicolas Hourcade, sociologue à l'École Centrale de Lyon, spécialiste des supporters de foot : « Il faut être clair, si l'objectif est bien de lutter contre la violence et le racisme dans les stades, cet arrêté n'apporte rien par rapport à l'existant ». D'autant que l'État français a déjà développé un arsenal en matière de surveillance : installation de caméras à l'intérieur et en dehors des stades, fouille systématique, contrôle d'identité, renforts de police pour certains matchs jugés « à risque »... Si une personne commet des violences – le terme est entendu de manière très large puisque cela concerne aussi bien le jet de fumigènes, cas majoritaires, que des dégâts matériels ou de la violence physique – elle peut être interdite de stade. Une interdiction qui va au-delà du simple fait de ne pouvoir s'installer en tribune : il faut en plus se présenter au poste de police avant et après le match. « Ce ne sont plus la violence ou le racisme qui sont visés, ajoute Nicolas Hourcade, mais les supporters contestataires qui critiquent la politique et la gestion du club. Le PSG veut sélectionner son public. Pourquoi pas, mais les pouvoirs publics n'ont pas à se mettre au service du club et à changer la loi pour cela. » Sous couvert de lutte contre la violence dans les stades c'est bien une lutte pour la préservation de la " marque PSG " qui se joue ici, en dehors de toute discussion. « Il faudrait discuter de la politique de lutte contre le hooliganisme, en perspective notamment de l'Euro 2016, conclut­il.Comme pour la loi sur le renseignement, la conciliation entre impératifs de sécurité et respect des libertés se pose. Mais, dans le cas des supporters, il n'y a quasiment aucun débat, alors que les dispositifs vont bien au-delà de ce qui est nécessaire pour gérer le hooliganisme. »

Saisine du Conseil d'Etat

18 585 956 mentions "j'aime" sont comptabilisées sur la page Facebook officielle du PSG... Ça en fait des personnes susceptibles d'être fichées ! Certainement la raison de l'actuelle levée de boucliers de nombre d'associations qui ont contacté Pierre Barthélémy, avocat au barreau de Paris, afin de déposer un recours contre cet arrêté : "Je suis très inquiet de voir que ça couvre toutes les activités publiques des supporters et toutes les personnes avec qui ils entretiennent des contacts "non fortuits". Les termes vagues utilisés font craindre une utilisation abusive. Le recours sera déposé pour l'ADAJIS(1). Nous allons saisir le Conseil d'Etat en référé, afin de suspendre l'arrêté dans l'urgence, et au fond, pour le faire annuler le temps que le juge instruise le dossier."

On attend donc le "match-retour".

 

(1) Association de défense et d'assistance juridique des interdits de stade.

Publié par Hélène Molinari

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